11 h 58 mn 47 s.
Plus que quelques secondes... Ou du moins, quelques minutes d'attente.. La tête d'Atsuhiko faisait des va-et-vient entre le prof dont la voix monotone et d'un timbre assez profond, arrivait à faire tressaillir le plus éveillé de tous les élèves présents dans la salle, et la pendule, qui, bariolée de couleur plus vives les unes que les autres, permettait d'obtenir une approximation du temps restant avant la fin de cette séance de torture...
Parce que oui... Aux yeux de notre jeune garçon, la cuisine théorique était vraiment des plus ennuyeuse, dans les cuisines, il n'y avait pas de théorie, puisqu'en théorie, tout se passait toujours bien..!
Non! En cuisine, il y a de l'action, de la sueur mêlée à de la vapeur et à des fumets plus parfumés les uns que les autres. En cuisine, il y a cette pression, ce besoin d'aller vite, mais il n'y a pas de théorie... La théorie n'a sa place qu'à l'école, rarement de l'autre côté de tables du restaurant.. C'était pour Atsuhiko, la plus inutile des matières de l'école, mais comme le règlement le stipulait, les cours étaient Tous obligatoires...

12 h 02 mn 16 s.
Pas de mouvements, calme plat, et pas de sonnerie, l'horloge se tromperait-elle? A moins que les salles soient nouvellement insonorisées... Et là... Ce serait le drame.. Du moins, pour lui. Non, aucunes réactions, aussi bien de la part des élèves affalés sur leur tables, que du prof imperturbable dans son long discours..
Premier va-et-vient, seules quelques secondes se sont écoulées, ce cours ne finira-t-il donc jamais? N'y a-t-il aucune autre façon, pour un hypothétique être supérieur, de s'amuser, que de détraquer les horloges et ralentir le temps?
Deuxième va-et-vient, un premier élève commence à se trémousser sur sa chaise, il vient de s'éveiller en trombe, sans le moindre gémissement, ses regards insistant sur l'horloge prouve un sacré empressement, peut être un rendez-vous.. Pressant..
Troisième va-et-vient, les autres élèves se réaniment tour à tour. Petit à petit, l'obscurité quitte les esprits embrumés, et leurs intentions éclosent de nouveaux, renaissent de cette aventure soporifique. Le professeur n'a pas l'air de se rendre compte de cet ennui qu'il a su faire naître chez ses jeunes, et renforce ses paroles lorsqu'il voit la population rouvrir les paupières. Soudain, au moment où l'intérêt commençait à poindre chez certains, la sonnerie éclata dans une vibration métallique, et les plus ennuyés se jetèrent sur leurs fournitures, et s'affairèrent à les fourrer dans leur sac, sans la moindre délicatesse. Atsu, lui, ramassa posément ses quelques bagages, lentement, sans se presser, s'il avait hâte de quelque chose, c'était que le cours se stoppe, mais pas de retrouver une quelconque personne. Ayant tout plié comme il le fallait, il sortit de la salle de cours, de sa démarche féline des plus attractives pour un intéressé..
La sonnerie l'avait, comme pour la plupart des autres, réveillé, et il se sentait un peu plus d'attaque qu'en début de journée. Seulement, il était midi, et il n'avait pas faim.. La pause durait une heure, et à moins qu'il n'arrive en retard, et qu'un rendez vous chez le proviseur lui soit offert, il ne pourrait pas la faire durer plus longtemps.
Aucunes envies ne l'imprégnait, et il se mit à déambuler dans les couloirs vides, comme à son habitude. Croisant un certains nombres d'élèves, qu'il connaissait de visage pour les avoir vu plusieurs fois en ville, une brillante idée apparût au milieu de son esprit dénudé de toute pensées. Elle lui vint en revoyant une de ces connaissances, ils avaient passé une soirée ensemble, dans la boîte de streap tease de la ville. La musique sourde et entraînante les avait tous deux menés sur la piste de danse, et c'est dans les rythmes et les pulsions que leurs corps s'étaient lâchés dans une explosion de mouvements déhanchés et attrayant.
Par la suite, ils avaient sympathisé, mais lui parler maintenant n'était pas son idée première. Non, le fait de l'avoir croisé et de s'être rappelé cette soirée arrosé de musique, lui avait donné envie d'en jouer.
Suivant les conseils de sa mémoire sur les couloirs, le jeune garçon arriva jusqu'à la porte close, derrière laquelle se trouvait les merveilles de musique et de jeux : les instruments. Sa main pressa sur la froide poignée dorée, et la barrière dressé entre lui et ce paradis d'harmonie se laissa déplacer, permettant au garçon de pénétrer dans le sanctuaire musical.
A partir du moment où ses pieds rentrèrent en contact avec le parquet, une certaine euphorie se mit à l'étreindre, et l'ambiance vide et inexistante se chargea d'une alchimie nouvelle éveillée par le jeune adulte. Il s'avança lentement jusqu'au magnifique et brillant piano à queue, dressé au milieu de la salle. Il avait déjà eu quelques leçons de piano, quand il était plus jeune, ses grands parents avaient absolument tenu à ce qu'il y soit initié, et aujourd'hui, il devait sûrement être en mesure de renouer ses liens avec l'instrument.
S'installant sur le siège, Atsuhiko souleva lentement le couvercle noir, seul bouclier des touches face à l'usure et aux poussières. Ses doigts effleurèrent lentement la pureté des notes, puis certaines commencèrent à s'enfoncer. La mélodie commençait, elle revenait d'elle même sans véritable problème, comme s'il n'eut jamais arrêté sa pratique, elle coulait à son oreille comme une cascade d'or dans un paradis clos. L'harmonie des sons se mélangeaient aux nuances que donnait la danse et la cadence de ses doigts sur le clavier, jusqu'à ce qu'un de ceux-ci dérape dans sa lancée, et atterrissent sur celle qu'il ne fallait pas, l'équilibre s'était cassé la figure, la sensation d'extase était rompue. Alors, le garçon releva ses doigts vaincus et retravailla, encore et encore, jusqu'à ce que tout aille, que tout redevienne parfait, que tout sonne comme avant... Jusqu'à ce qu'à nouveau, il puisse fermer ses paupières, et se laisser porter au gré des notes dans un voyage pour un monde connu de lui seul et que l'arrivée d'une tierce personne ne pourrait même pas troubler...